Après d’âpres négociations au cours desquelles les avocats de Syngenta ont à plusieurs reprises reformulé les revendications du brevet, l’opposition contre le brevet EP2140023 a finalement été rejetée. Cette conclusion va à l’encontre de toutes les décisions politiques prises ces dernières années. Le Parlement européen, la Commission européenne, les principales associations obtentrices en Europe ainsi que de nombreuses organisations paysannes et non gouvernementales s’accordent sur le fait que de tels brevets sur des propriétés naturelles et sur des produits issus de la sélection conventionnelle – c’est-à-dire sans génie génétique – ne doivent pas être délivrés. Le conseil d’administration de l’OEB aussi a confirmé, en 2017, que le brevetage de plantes issues de méthodes de sélection «essentiellement biologiques» est interdit.
Un revers pour les sélectionneurs
«Cette décision est un revers cuisant, en particulier pour les petites et moyennes entreprises d’obtention variétale. Les brevets et les monopoles sur des propriétés naturelles entravent notre libre accès au matériel de sélection – et donc le développement de nouvelles variétés», regrette Noémi Uehlinger, responsable de l’amélioration variétale auprès du producteur de semences Sativa Rheinau SA, qui a soutenu le recours. Ces brevets créent de nouveaux problèmes pour les obtenteurs et obtentrices. Si, jusqu’à récemment, on pouvait partir du principe qu’en utilisant des variétés anciennes ou des parents sauvages de plantes agricoles issues de banques de gènes, de nouvelles variétés pouvaient être croisées et sélectionnées librement, ce n’est désormais plus le cas. Aujourd’hui, quiconque utilise dans sa sélection le poivron sauvage de la banque de gènes néerlandaise, accessible au public, doit s’attendre à ce que sa nouvelle variété tombe sous le coup du brevet controversé de Syngenta.
Les États membres doivent agir
Il est scandaleux qu’il ait fallu neuf ans avant que l’opposition au brevet soit traitée en première instance : pendant toutes ces années régnait un flou juridique. Mais le problème de fond ne se limite pas au cas du poivron. Même après l’adoption de nouvelles règles par le conseil d’administration de l’OEB, des brevets sur des plantes obtenues de manière conventionnelle sont encore délivrés: un récent rapport montre même que le nombre de demandes a augmenté ces des dernières années. Les grands groupes semenciers n’hésitent pas à exploiter les failles juridiques pour breveter, par exemple, des plantes résultant d’une mutagénèse aléatoire ou certains gènes d’origine naturelle et leurs propriétés. Rien qu’en décembre 2022, l’OEB a délivré au moins quatre brevets de ce type sur de l’orge brassicole, des melons, des tomates et même du pissenlit. «Les États membres du conseil d’administration de l’OEB doivent enfin édicter des règles claires pour empêcher les manigances des avocat·e·s spécialisé·e·s en propriété intellectuelle et mettre définitivement un terme au brevetage des plantes et animaux obtenus de manière conventionnelle», conclut Carla Hoinkes de Public Eye.
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