Le 24 avril 2017, le géant suisse des matériaux de construction LafargeHolcim informait l’opinion publique du départ avec effet immédiat de son directeur Eric Olsen. Raison de cette mise à l’écart? LafargeHolcim avait payé des milices privées pour protéger ses sites de production dans la Syrie ébranlée par la guerre civile et donc financé, selon toute vraisemblance, l’organisation terroriste «État islamique». En congédiant son premier responsable, la multinationale basée à Rapperswil-Jona espère mettre un terme au scandale et limiter les dégâts portés à son image. Dans ce contexte, la société n’a guère à craindre de conséquences juridiques. Une plainte dans la Syrie déstabilisée et détruite par la guerre n’est pas très vraisemblable. Et comme siège principal de LafargeHolcim, la Suisse n’a pas de moyen légal lui permettant de sanctionner cette violation des droits humains.

Le cas LafargeHolcim peut paraître extrême – mais il arrive régulièrement que des multinationales helvétiques violent des droits humains dans des pays en développement. L’initiative pour des multinationales responsables, au lancement de laquelle a participé SWISSAID, a pour ambition de changer la situation. À l’avenir, les entreprises domiciliées en Suisse devraient être tenues de respecter, à l’étranger également, les normes en matière de droits humains et de protection de l’environnement en vigueur en Suisse. Des règles contraignantes s’appliquant aussi aux activités des multinationales à l’étranger et visant à protéger les êtres humains et l’environnement seraient ainsi créées et davantage d’équité instaurée en termes de concurrence. Munie de plus de 120’000 signatures authentifiées, l’initiative pour des multinationales responsables soutenue par des œuvres d’entraide et des organisations de défense de l’environnement et des droits humains a été déposée le 10 octobre 2016 et sera prochainement examinée au Parlement.

Des efforts visant à minimiser l’impact politique des activités des multinationales sont consentis depuis longtemps déjà. Voilà peu, les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits humains, ainsi que leur mise en œuvre au plan national, ont déclenché une dynamique considérable. Adoptés à l’unanimité en 2011 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les Principes directeurs marquent la «fin du début» de l’enracinement d’une responsabilité accrue des sociétés, comme l’a dit le mandaté de l’ONU John Ruggie. Les Principes directeurs reposent sur les trois piliers suivants:

  1. Le devoir des États de protéger les droits humains et de s’assurer que les entreprises ne les violent pas.
  2. La responsabilité des entreprises de respecter les droits humains. Afin d’empêcher de telles violations, elles doivent mettre en œuvre des procédures de diligence raisonnable.
  3. L’accès à des voies de recours efficaces pour les victimes de violations de droits humains par des entreprises. Ce devoir concerne les entreprises et les États.

De nombreux pays ont entre-temps commencé à mettre en œuvre les Principes directeurs de l’ONU et à inscrire des devoirs de diligence dans leur législation:

  • Sous la présidence de Barack Obama, un devoir de diligence assorti d’une obligation de rapport a été adopté dans le «Dodd-Frank Act»; l’UE travaille à une législation similaire.
  • Le Règlement de l’UE dans le domaine du bois (tout comme la loi fédérale suisse sur les prestations de sécurité privées fournies à l’étranger) prévoit des devoirs de diligence – sans comptes rendus publics toutefois.
  • Le «California Transparency in Supply Chains Act» visant à lutter contre l’esclavage et la traite des êtres humains dans la chaîne d’approvisionnement ainsi que le «Modern Slavery Act» (2015) du Royaume-Uni comprennent une obligation de faire rapport sur le devoir de diligence.
  • En 2014, l’UE a adopté une «directive en ce qui concerne la publication d’informations non financières» obligeant les sociétés commerciales cotées en bourse de plus de 500 collaborateurs à faire rapport sur leurs procédures internes et le devoir de diligence dans les domaines des droits de l’homme et de l’environnement, ainsi que sur les résultats des mesures prises. Un devoir de diligence explicite fait toutefois défaut et l’obligation de rapport est lacunaire.
  • Le droit des sociétés du Royaume-Uni («UK Companies Act») oblige les organes dirigeants de sociétés commerciales à tenir compte de l’environnement et des communautés locales dans l’exécution de leurs missions et, depuis l’automne 2013, cite explicitement les droits humains en matière de «reporting». Un devoir de diligence explicite manque cependant.
  • En France, le gouvernement a lancé un projet de devoir de diligence global pour les grandes sociétés, incluant les droits humains en plus de l’environnement.
  • Durant l’été 2016, huit parlements nationaux de pays de l’UE ont invité la Commission européenne à introduire un devoir de diligence pour les entreprises à l’échelon de l’UE. Une résolution du Parlement européen l’a également exigé en 2015.
  • Des recommandations du Conseil de l’Europe adoptées en 2016 et un rapport du Conseil des droits de l’homme exhortent également les États à déclarer le devoir de diligence contraignant dans certaines circonstances et à l’intégrer dans le droit national en vigueur.
  • Finalement, le Parlement britannique a adopté en 2017 un rapport exigeant un devoir de diligence allant bien plus loin que ce que requiert l’initiative pour des multinationales responsables – puisqu’il réclame aussi des sanctions pénales, sur le modèle de la législation britannique en matière de corruption.

De nombreuses multinationales suisses profitent de pratiques commerciales tout sauf éthiques dans des pays en développement: travail des enfants dans des plantations de cacao, conditions de travail inhumaines dans des usines textiles ou pollution environnementale liée à l’exploitation de matières premières. Cette réalité est déplorable pour notre pays économiquement développé. Seule l’initiative pour des multinationales responsables peut y remédier. L’observation du développement mondial montre que des règles contraignantes liées aux activités menées à l’étranger sont nécessaires et possibles.

*L’engagement de SWISSAID dans l’initiative pour des multinationales responsables est financé uniquement par des dons. Les fonds de la Confédération ne sont pas utilisés à cette fin.